vendredi 16 décembre 2016

L'homme de Kazan.

L'homme de Kazan.

C'est sur l'île du bout du monde, au bout de près de 3 mois de voyage que j'ai vécu un de ces moments improbables, une vraie histoire de roman...
A la croisée entre : Le phare du bout du monde de Jules Verne, Limonov d'Emmanuel Carrère et Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson .

L'histoire débute a Punta Arenas ou je monte a bord d'un ferry à destination de Puerto Williams, le village le plus au Sud du monde, sur l'île chilienne de Navarino.

Une petite expédition de 30 heures a travers des îles et passes tortueuses , avec des creux de 3 mètres et des glaciers venant se jeter dans l'océan.
Des heures passées en cabine ou sur le pont, a goûter aux embruns et découvrir ces terres parmi les plus isolées et les plus hostiles du monde.
On aura même droit sur la fin à un passage bref mais majestueux d'une baleine sur le canal de Beagle.

J'y fait la connaissance de Ravil, un russe, ou plutôt pardon un tatar, de 58 ans , habitant Kazan, au bord de la Volga.
Il a tout du russe , l'accent, le visage émacié, une résistance hors norme et une vie a coucher dehors...

Il est parti sur un coup de tête pour l'Amérique du Sud, avec encore moins de bagages que moi et pas de plan car selon lui le meilleur plan c'est encore de ne pas en avoir...

Ne sachant pas ou loger sur Puerto Williams ( seulement 2000 habitants et une ambiance beaucoup plus authentique et "austral" que sa voisine Ushuaia avec ses 30 000 habitants et presque autant de touristes ), il débarque avec moi au refugio el padrino , une sorte d'auberge espagnole tenue par Cécilia qui traite tout le monde comme faisant partie de sa famille. On s'y sent a l'aise malgré le côté rustique/bordelique et le froid piquant qui règne dans les chambres.

Le jour même de notre arrivée nous partons pour une randonnée a travers le massif des Dientes de Navarino, lui et moi sommes sur la même longueur d'ondes, on communique en anglais approximatif et décidons dès que possible de quitter le chemin balisé pour poursuivre plus haut sur la montagne et avoir une vue magnifique a 360 degré sur l'île , le canal de Beagle, et même au fond l'océan Pacifique tout proche du cap Horn.

Nous marcherons près de huit heures, en grande partie au jugée a slalomer entre les marécages et souches d'arbres parsemant cette forêt du bout du monde.
Ravil est loquace mais son repas frugal ( 2 barres de céréales et une orange ) et sa tenue pas vraiment adapté : un vieux pantalon de ski, une polaire trop grande pour lui et des baskets low cost au pied.
Il me diras plus tard n'avoir que 2 tee shirt et une seule paire de chaussures et  chaussettes ! Finalement je vis dans le luxe a côté de lui...
 Qu'importe, il avance sans rechigner et suit ma trace hasardeuse avec un enthousiasme juvénile.

Le soir nous mangeons ensemble et il me raconte une -petite- partie de sa vie.
Son père a été envoyé 9 ans au goulag pour avoir vanté les mérites des voitures ouest allemandes, sa femme se droguait et s'est  fait la malle, pendant plusieurs années il n'a pas revu sa fille et il a vécu ensuite avec une femme de 22 ans sa cadette...

En dehors de cela il est très cultivé ,adepte d'opéra et a un diplôme d'ingénieur en électronique. Il a fait fortune dans le commerce avant de presque tout perdre lorsque Poutine a dévalué le rouble. Finalement ces dernières années il est devenu moniteur de snow kite et kite surf , bref rien que de très normal...

Nous passons les deux journées suivantes a vadrouiller ensemble, il me parle de Mister Poutine comme il l'appelle et n'est pas très optimiste sur l'avenir de son pays.
La veille de mon départ pour ushuaia il a neigé toute la nuit, le froid et le vent sont mordant mais nous décidons tout de même de partir explorer la côte en direction de Caleta Eugenia, dernière habitation vers l'est de l'île.
Nous marchons un moment puis un camion arrive et nous prends en stop sur quelques kilomètres. Il reste ensuite 10 kilomètres a faire a pied, en sachant qu'au retour si
















 personne ne nous prends en stop il nous restera 25 kilomètres pour revenir.
Qu'importe, lui comme moi ne voulons pas faire demi-tour avant d'avoir atteint le bout de la route !

Enfin nous apercevons une habitation, il est presque 18 heures, des chiens aboient et viennent a notre rencontre mais personne ne semble vivre ici.

Et puis alors qu'au bout de quelques minutes nous pensons a rentrer je vois quelqu'un derrière une fenêtre, nous approchons et il nous ouvre sa porte, il a l'air endormi et un peu saoul mais pas agressif.
Spontanément , comme pour l'apprivoiser, Ravil lui offre une orange et en retour lui nous propose du café.

Nous acceptons son hospitalité et passons quelques minutes a l'intérieur.
C'est vraiment rustique, il ne parle pas un mot d'anglais et nous très peu l'espagnol.
Nous comprenons tout de même plus ou moins qu'il vit là tout seul. 
Retraité de la marine marchande chilienne il a beaucoup voyagé avant de poser son baluchon ici sur cette crique isolée de l'ile du bout du monde.
Il apprécie Ravil car il croit que tous les russes sont communistes comme lui...

Quant a moi , apprenant que je suis français il me montre une vieille bouteille de champagne a l'intérieur de laquelle un message est  écris en français, il me demande de lui dire de quoi il s'agit, j'ai du mal a déchiffrer mais c'est juste quelques mots banals d'un navigateur français qui visiblement lors de son passage dans le canal de Beagle avec son voilier a jeté cette bouteille a la mer. 

Un moment hors du temps...mais il nous faut partir même si sûrement lui aurait aimé poursuivre la "conversation".
Nous marchons plus d'une heure sans croiser personne, on se prépare mentalement a en baver pour arriver a nouveau au refugio el padrino lorsque tout a coup une voiture approche, il s'agit de 3 jeunes de Puerto Williams qui se balladent en 4x4, ils acceptent de nous ramener d'ici quelques minutes, on se  serre a l'arrière  et c'est parti .
On a aura été chanceux car ensuite plus aucune voiture ne viendras sur toute la route du retour.

 Ravil aimerait bien trouver une place en dernière minute sur un bateau a destination de l'Antarctique, il me promet de m'heberger si un jour ma route passe par Kazan et que lui y est toujours, cela tombe bien , le transsiberien y fait une halte !

On verra bien , car comme il l'a dit le meilleur plan est bien souvent de ne pas en avoir afin que l'aventure vous prenne par surprise au bout du chemin ...

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